L'ECLIPSE DES 4 SAISONS
276 ans après la création du célèbre concerto du compositeur italien Vivaldi, une nouvelle partition a été écrite ce 21 juin, date ô combien symbolique pour un événement astronomique observé avec respect et admiration depuis que l’homme règne sur cette planète, l’éclipse totale de soleil. En voici la partition.
Mouvement 1 : Le printemps
Le printemps touche à sa fin ce 19 juin à l’aéroport d’Orly, où les candidats au voyage éclair organisé par la librairie Uranie s’installent dans l’Airbus affrété pour l’occasion. Retrouvailles et joie sont du voyage, entre les frustrés d’un certain 11 Août 1999 impatients de laver l’affront subi par la météo, et les comblés de la dernière éclipse européenne touchés par le virus des “totales”.
Mouvement 2 : L’automne
Après un vol calme et un clin d’œil de la barque lunaire surmonté de Vénus à travers les hublots, l’arrivée à Lusaka ce 20 juin s’effectue avec le lever de l’astre du jour sur le tarmac de l’aéroport. C’est le dernier jour de l’automne austral, le passage à l’équateur quelques heures plus tôt nous a basculés dans la saison sèche de cette partie de la planète. L’accueil est excellent, les autorités zambiennes ont apparemment donné quelques consignes…
Le transfert sur la ligne de centralité, à 60 kms au nord de la capitale zambienne, est parcouru à des années-lumières des conseils de notre prévention routière nationale.
Après une journée d’installation et préparatifs, le crépuscule arrive très vite cette fin d’après-midi. A cette latitude (15°), le soleil entame une descente rapide et décidé, nous gratifiant d’un coucher somptueux dans un ciel d’une limpidité à faire rêver le plus blasé des astronomes. La nuit s’annonce mémorable. Elle le sera…
Le soleil ayant tiré sa révérence, place à ses confrères éloignés. Le grand jeu du repérage des constellations australes commence. Mars donne le “La”, déjà à 30° d’altitude, tandis qu’Antarès du Scorpion l’accompagne. Puis apparaissent Sirius et deux phares plein sud, alpha et bêta du Centaure, tandis que la Croix du sud se dévoile enfin à nos yeux novices d’observateurs boréaux.
Puis tout s’accélère, le crépuscule astronomique est atteint rapidement et le spectacle dépasse nos rêves les plus fous. Tout d’abord la lumière zodiacale. Un cône de lumière coupé au couteau qui monte jusqu’à 60°. Les observateurs sont ébahis. puis la Voie Lactée qui irradie littéralement la voûte céleste. Tel une envolée lyrique, les objets du ciel austral donnent le meilleur d’eux-même. Toutes ces nébuleuses, ces amas comme celui du Centaure qui écrase par sa beauté le ridicule M13. Et le sac à charbon, la boîte à bijoux, la Tarentule… Peut importe si le temps est couvert demain, cette nuit vaut à elle seule le voyage. Après quelques courtes heures de sommeil, retour sous les étoiles. Nouveau choc avec le petit nuage de Magellan, et, cerise sur le gâteau, la comète LINEAR A2 visible à l’œil nu comme un gros amas globulaire, mais dont la queue se dévoile aux jumelles. La tranche de notre Galaxie et maintenant à la verticale, et Mars proche de l’horizon. Tout le monde assiste à à son coucher derrière les arbres, sans une vibration, sans aucune turbulence.
L’automne s’achève, le jour se lève sur une nouvelle journée prometteuse en délectation sensorielle.
Mouvement 3 : L’hiver
Oubliés les appels frénétiques à Météo-France des 10 et 11 Août 1999, les courses poursuites avec les rares éclaircies du nord de la France. L’hiver débute ce 21 juin avec un ciel sans nuage.
Derniers préparatifs matinaux avec les chœurs d’un groupe zambien en fond sonore, et déjà le premier contact. Plusieurs groupes de taches solaires sont avalés par Séléné tandis que la température doucement diminue. L’excitation augmente, la lumière si caractéristique des éclipses commence à produire son charme sur les observateurs. La symphonie peut commencer. Il ne reste maintenant plus qu’un fin croissant d’hydrogène en fusion, l’ambiance est électrique. Diamant. Protubérances. Couronne. Crépitement des boîtiers photo. Elle est là. Encore plus belle que les plus belles déjà vécues. La couronne est subliminale. 6 mois après son maximum, notre étoile donne à sa chevelure un éclat incomparable. Coup d’œil au crépuscule sur 360°, aux rires et pleurs des chasseurs qui tiennent enfin leur proie… Oublié les plus beaux paysages de la planète. L’homme est à cet instant au plus profond avec son environnement, sa source de vie. Diamant. C’est fini. Certains exultent pour exprimer leur bonheur et évacuer la tension accumulée, d’autres restent silencieux, tentant de conserver en eux quelques instants encore cette émotion puissante. Les chœurs africains reprennent, comme pour honorer celui qui a daigné nous offrir le spectacle de sa plus belle partition. Aucune fausse note.
Mouvement 4 : L’été
Il est 23h50 ce 21 juin lorsque l’Airbus franchit la ligne imaginaire de l’équateur et nous fait basculer dans l’été de l’hémisphère nord. Quelques heures plus tard, je retrouvais le chef d’orchestre de ce merveilleux concert à travers le cockpit du grand oiseau blanc, dans un lever cristallin. Beaucoup de passagers iront assister aux prochains concerts, c’est une certitude. Il y a de la place et les abonnements sont pris… A vie.
Philippe JACQUOT